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Roger  WATERS - The Wall Live  -  Milan  ( Italie )  4/04/2011 )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte proposé par Jean-Pierre Alenda, suite au concert de Roger Waters du 1er juillet 2011.

Vendredi 1 juillet 2011, direction Bercy à Paris pour voir Roger Waters qui interprète « The Wall » in extenso dans une grosse production dont notre époque un peu cheap semble avoir perdu le secret. Le secret en est un peu éventé depuis le mois de mai, date à laquelle se sont déroulées les premières dates françaises, mais on peut raisonnablement attendre le meilleur lorsqu’on a affaire à un artiste de cette envergure, surtout qu’il considère cette tournée comme étant la dernière qu’il comptait réaliser durant sa carrière.

Tout commence par une mélopée languide très conforme à l’esprit de ce que fut le rock progressif des seventies et puis l’introduction exécutée par des guitares heavy ramène en mémoire la déflagration proto-punk que fut en son temps cette œuvre pas comme les autres. Un faux bombardier fend alors les airs dans un vacarme quadriphonique avant de s’écraser sur le mur dans un grand fracas de fumigènes et d’explosions pyrotechniques. Une entrée en matière tonitruante qui saisit l’assistance, venue célébrer une œuvre et un groupe davantage rompus aux mélodies délicates qu’aux hauts faits d’arme du heavy metal (Daddy, what did you left behind for me ?). Après ce hors d’œuvre estomaquant, retour à des arrangements semi acoustiques pour évoquer les affres d’un enfant très tôt privé de présence paternelle et dont la mère concentre toute son affection frustrée sur un garçon couvé qui n’en demande pas tant (Mother loves her baby). L’émancipation difficile, le développement d’une relation possessive propitiatoire aux abus, sorte de nœud freudien qui noue l’amour à la haine de façon passionnelle ; l’aventure affective de Pink sera, comme dans les années 80, illustrée et soutenue par des dessins conçus à l’origine par Gérald Scarfe, qui symbolisent à merveille l’ambiguïté des relations amoureuses, les rapports de pouvoir ou la lutte qui s’ensuit pour survivre. « Another brick in the wall » et son célèbre « we don’t need no education, we don’t need no thought control » sont chantés par un collectif d’enfants exécutant une chorégraphie spontanée, dansant en costumes d’écolier au nez et à la barbe de la poupée gonflable du professeur ; trucage qui trouvera son prolongement tout à l’heure avec l’énaurmissime cochon volant symbolisant les grandes heures de Pink Floyd, époque Animals et « Pigs ». Des projections se succèdent à un rythme soutenu, desquelles émergent les thèmes sous-jacents chers à Roger Waters, tels l’impérialisme américain, la dictature du Dieu Dollar ou les manipulations inhérentes à l’exercice du pouvoir. Des applaudissements spontanés viennent d’ailleurs ponctuer ces images de bombardiers déversant leur cargaison morbide sous forme d’emblèmes de multinationales ou de devises occidentales. On réalise alors combien The Wall était prophétique, dans le concept comme dans la réalisation. L’image de chefs d’état corrompus projetée en alternance avec celle de héros morts nés ou de mystiques illustres, symbolisent l’oppression potentielle induite par des rapports de force faussés par les inégalités économiques, appuyée par des messages de propagande tels que « faites-nous confiance » directement inspirés par les lyrics originels de Pink Floyd (« Should I trust the government ? » et le public de rire lorsqu’il lit de l’autre côté du mur : « No, never »). Leur pendant est incarné par ces nombreux clichés d’anonymes morts ou disparus durant les divers conflits armés que Roger Waters a recueilli sur son site Internet suite à une demande personnelle qu’il adressait à ses fans. Le parallèle avec la chute du mur de Berlin, cette année 1989, pic créatif qui vit la sortie de tant de bons albums et la mort d’un des plus grands pianistes de tous les temps, Vladimir Horowitz, est constant. L’artiste est d’ailleurs très en voix, même si son timbre si caractéristique s’est tant soit peu modifié au fil des ans et qu’il est désormais contraint de remplacer par un autre chanteur le timbre si caractéristique de David Gilmour. Depuis pas mal de temps, alors que Pink Floyd compensait le poids des ans et des superproductions par une surenchère constante en termes de musiciens présents sur scène comme de moyens techniques, il était de coutume de proposer une doublure pour chacun des membres du groupe. Roger Waters ne déroge pas à cette règle puisqu’il s’entoure d’une douzaine de partenaires, afin d’être en mesure de pallier l’absence de David Gilmour ou de Richard Wright (wish you were here). Snowy White, métamorphosé depuis l’épisode Thin Lizzy, est tout spécialement remarquable à la guitare. Le résultat est à la hauteur et après un entracte qui fait notablement retomber la pression (à cause du grand âge de Roger ?), nous sommes de nouveau plongés dans le vif du sujet avec « Hey you », « Vera Lynn » (We’ll meet again some sunny day) et le prélude au grand œuvre de David Gilmour « Comfortably numb ». A ce moment, les musiciens sont presque complètement occultés par la construction du mur qui ne laisse transparaître que de pâles fenêtres par où entrapercevoir les musiciens. Là, on se dit qu’ils sont vraiment rares les groupes qui peuvent se permettre d’interpréter plusieurs titres derrière un mur, fût-ce en projetant des diapos pour compenser le déficit spectaculaire. Pink se prend au jeu de la rock star condescendante et mime les procédés usités par des dictateurs de pacotille, qui méprisent la terre entière en proposant une version débilitante quoi que dérisoire de la culture, fondée sur la soumission aveugle à une société totalitaire basée sur le monde du spectacle et ses effets de manche (Run like hell). Subitement, on prend conscience de l’effet gigogne d’une mise en abyme faisant des spectateurs consentants que nous sommes à la fois les acteurs et les victimes consentantes de ce principe globalisant. Le travail des ONG, le vide qu’elles sont venues combler par leur existence même, nous frappent dès lors pleinement tandis que la figure d’un enfant décharné restera longtemps dans les mémoires, renouvelant à nos dépens le concept de persistance rétinienne. A Londres, les anglais avaient eu la formidable surprise d’apercevoir David Gilmour au sommet de l’édifice, pour prendre au cours de « Comfortably Numb » ce qui s’avère, avec le recul du temps, l’un des plus fabuleux solos de guitare jamais conçus et interprétés. Cette réconciliation des deux leaders d’un des groupes les plus mythiques de l’histoire du rock vient parachever l’édifice bâti par un une formation majeure qui s’apprête à ressortir l’intégralité de son répertoire sur support numérique remasterisé, célébrant ainsi les 200 millions d’albums vendus en les agrémentant d’une version inédite de « Wish you were here » sur laquelle Stéphane Grappelli place une partie de violon. Il n’en est rien ce soir, mais son remplaçant relève le défi écrasant qui lui incombe en proposant une relecture des plus personnelles de la partition, servie par un des plus beaux sons de guitare électrique que j’aie jamais entendus. Des frissons parcourent la moelle épinière et l’épiderme se mue en chair de poule quand le titre s’achève au terme d’un long chorus d’anthologie, ponctué par une ovation qui vient s’échouer sur l’amorce du procès décidant du sort de Pink. Après avoir vécu les affres d’une émancipation conflictuelle (Goodbye blue sky), être devenu l’apôtre d’un pouvoir sans borne sur les fans, et avoir fait l’expérience amère des groupies (I need a dirty woman), ou de la toxicomanie (Just a little pin prick), il va enfin connaître la résilience d’une haine sans âme payée par la perte de son humanité. Les dessins de Gérald Scarfe n’ont jamais été plus inspirés qu’au cours de cette session dramatique qui s’avère bien plus convaincante en concert que sur disque. Le mur s’effondre enfin à l’issue d’une sentence prévisible qui condamne notre héros à reconstruire sa vie, fût-ce sur la base de décombres encore fumants (Goodbye cruel world, I’m leaving you today, goodbye). Pas de rappel (que peut-on jouer après une telle débauche de moyens, d’énergie, de génie?). On ressort de là abasourdi, en ayant conscience d’avoir été plus ou moins malmené, et pourtant ragaillardi par l’air ambiant. Dehors la nuit parisienne paisible achève de nous rasséréner et l’on reprend ses esprits le temps d’une marche au hasard, loin de la bouche de métro dans laquelle s’engouffre une véritable marée humaine. Encore un moment essentiel volé à l’air du temps qui tolère si bien les silences du cœur.

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